À Calais, l’expérimentation “Territoire bilingue” s’étend progressivement de la maternelle au lycée
de Sylvain Marcelli
“Déjouer les déterminismes sociaux, culturels et territoriaux et donner à chaque élève force, confiance et ambition” : tels sont les objectifs de l’expérimentation “Calais Territoire bilingue” lancée par le rectorat de Lille fin 2019. Ce dispositif original consiste à développer des cours en anglais de la maternelle au lycée. Même si le déploiement a été fortement ralenti par la crise sanitaire et le Brexit, “le projet existe partout mais avec des déclinaisons complètement différentes”, explique Nicolas Lavoine, référent du dispositif,
lors d’un reportage réalisé par AEF info mi janvier 2023.
Des élèves de 5e suivent un cours de mathématiques en anglais au collège Vauban de Calais. AEF – S. Ma.
“And now its time to play Battleship !” A l’appel de la professeure de mathématiques, les élèves de cinquième tournent leurs tables et se mettent en position pour mener une bataille navale… en anglais. Ils tentent de localiser les bateaux adverses sur les grilles en déclinant “abscissa and ordinate”, abscisses et ordonnées. “Nous faisons régulièrement des exercices en anglais, par exemple sur les nombres relatifs ou la droite graduée”, explique l’enseignante, Nathalie Admont. “Ce sont des choses que je n’avais pas imaginé intégrer dans ma pratique, même si j’ai vécu en Angleterre plusieurs années. C’est intéressant parce que c’est un vecteur de motivation pour les élèves. Pour le moment, je réalise peut-être 10 % de mes cours en anglais mais pas encore avec toutes les classes car les élèves n’ont pas forcément le niveau”.
Classé REP+, le collège Vauban (415 élèves) de Calais participe activement à l’expérimentation “Calais Territoire bilingue” impulsée par la rectrice de Lille fin 201. Les élèves réalisent des émissions de
webradio dans la langue de Shakespeare, empruntent des livres dans l’English Corner aménagé au CDI, écrivent à leurs correspondants de Canterbury, une petite ville du Kent située à 70 km à vol d’oiseau. L’établissement a aussi ouvert en septembre 2022 une section internationale : des “sixièmes” bénéficient de quatre heures de cours supplémentaires sur la littérature et la civilisation anglaise et de la moitié des cours d’histoire-géographie en anglais. Soit au total 9h30 d’anglais par semaine, en ajoutant les 4 heures déjà au programme. “On est très agréablement surpris de la manière dont ça prend”, commente Nicolas Gennequin, le principal. “À la rentrée, il n’y avait que 7 élèves. La bonne surprise, c’est que 5 élèves s’y sont raccrochés au cours du premier trimestre. Ils adorent et prennent confiance en eux. À terme, cette section va changer l’image du collège”.
Former et mettre en confiance les professeurs
L’expérimentation “Calais Territoire bilingue” a d’abord touché l’école maternelle avant de faire tache d’huile en école élémentaire et au collège, ainsi que dans quelques lycées. En 2026, elle devrait concerner 15 000 élèves. “L’objectif est de faire de l’anglais autrement en proposant entre 30 % et 50 % des cours en anglais”, résume Nicolas Lavoine, principal du collège Jean Jaurès et référent “Territoire bilingue”. Pour réussir ce pari, une centaine de professeurs de maternelle ont suivi une formation de cinq jours dispensée par le British Council, l’agence britannique chargée des échanges éducatifs et des relations culturelles. Actuellement, 25
professeurs du second degré suivent une formation pour préparer la certification complémentaire en DNL (discipline non linguistique), à raison de trois jours par an pendant deux ans. “Ces formations représentent un investissement conséquent mais elles sont très importantes pour aider les enseignants à monter en compétences et à prendre confiance”, commente Béatrice Briard, lA-IPR d’anglais. Des enseignants partent aussi à Malte pour pratiquer l’anglais et monter des partenariats. Avant le lancement du projet, le Calaisis ne comptait qu’un professeur titulaire de la certification DNL.
Des élèves de 5e suivent un cours de mathématiques en anglais au collège Vauban de Calais.
Cependant, l’expérimentation est encore loin d’avoir atteint ses objectifs. Elle a été freinée par le Covid et par le Brexit – la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne complique les déplacements, un passeport étant désormais obligatoire pour franchir le détroit. “Jusqu’en septembre 2021, il ne s’est pas passé grand-chose de concret parce que toutes les initiatives ont été stoppées par les contraintes sanitaires”, reconnaît Nicolas Lavoine. “Mais en février 2022 un séminaire a relancé la dynamique dans tous les établissements, en lançant des projets fédérateurs en anglais autour de trois thématiques : le développement durable, l’éducation
artistique et culturelle et les activités physiques et sportives”.
Plusieurs collèges ont par exemple rejoint le réseau “European Blue Schools” pour échanger avec des classes anglophones sur la protection du littoral. D’autres s’intéressent à la Coupe du monde de rugby 2023 ou aux JO de Paris 2024, deux événements qui vont capter un public anglophone. Le lycée Sophie Berthelot s’est quant à lui mis à l’heure des élections américaines l’an dernier. Le point commun entre ces initiatives est d’ouvrir de nouveaux horizons aux élèves. “Certains ne sont jamais allé à plus d’un kilomètre et demi
de chez eux. On veut faire tomber les barrières”, résume un enseignant.
Une situation hétérogène
“Le projet existe partout mais avec des déclinaisons complètement différentes”, résume Nicolas Lavoine. “La situation est hétérogène dans les 32 écoles, les 7 collèges et les 6 lycées du Calaisis”, confirme Béatrice Briard. Selon l’IA-IPR (Inspectrice d’académie-inspectrice pédagogique régionale), près de 30 % des cours se déroulent déjà en anglais de la petite section au CP et 20 % du CM1 à la Ge. “Le dispositif se met en place là où les professeurs s’en sentent capables. La première chose à faire, c’est de leur redonner confiance en leur montrant qu’ils ont plus de connaissances en anglais qu’ils ne le pensent et en les guidant vers la certification DNL qui équivaut à un niveau B2”, développe-t-elle.
Les écoles et collèges ont toute latitude pour mettre en musique l’expérimentation. “Dans certains établissements, des professeurs ont été missionnés, dans d’autres ce sont des groupes de travail émanant du conseil pédagogique qui réfléchissent à la déclinaison du dispositif, détaille Nicolas Lavoine. “Des professeurs d’anglais aident leurs collègues à préparer des cours, assurent une co-animation ou préparent des ressources pédagogiques – parfois les trais” Le projet s’étend parfois À la demi-pension, avec des repas à thème ou des menus en anglais.
L’apport de la Cité éducative
Labellisée en 2019, la Cité éducative de Calais regroupe trois collèges et 16 écoles REP+. Elle a financé du matériel (stations d’écoute, livres, tablettes…) et l’intervention d’associations comme l’école des langues de Calais ou la maison du numérique (qui organise des ateliers de programmation en anglais). “Nous avons investi 77 700 euros en trois ans, ce qui crée un effet levier important”, souligne Jérôme Gay, principal du collège Martin Luther King et chef de file de la Cité éducative. Les établissements puisent aussi dans leurs ressources propres. “Par exemple, missionner un professeur coûte 2 heures sur la dotation horaire globale
et 1/2 IMP (indemnité pour missions particulières) dans mon établissement”, illustre Nicolas Lavoine. “L’idée est maintenant de mobiliser des fonds européens, notamment grâce à Erasmus”, souligne Béatrice Briard.
L’ensemble de l’expérimentation est suivi par l’université de Lille : une équipe de recherche va comparer le devenir de deux cohortes d’élèves, à Calais et dans une autre Cité éducative, pour mesurer l’impact de l’enseignement précoce de l’anglais et ses effets sur l’enseignement du français. Une manière de répondre aux inquiétudes : certains enseignants se demandent s’il ne faudrait pas plutôt insister sur la langue française, pas toujours maîtrisée par les élèves.