Les Calaisiens, bientôt tous bilingues ?
par Laurent Decotte
En 2019, l’Éducation nationale a lancé « Calais territoire bilingue », initiative à l’objectif ambitieux : dispenser 30 % des enseignements en anglais, de la maternelle au lycée. Où en est-on trois ans après ?
« Où est le garçon rouge ? ». Sans hésiter, un petit bonhomme en moyenne section montre du doigt la figurine rouge. Les plus grands sont occupés à chanter l’une des comptines tubesques de nos voisins anglais : One Little Finger (34 millions d’écoutes sur Spotify !).
« Parfois, je suis impressionnée, je leur présente une toute nouvelle chanson et ils la retiennent très vite », confie Lydie Barsby, directrice de l’école maternelle Constantine, à Calais. À cet âge, « ils ont une mémoire extraordinaire et aucune inhibition », appuie Stéphanie Lengagne, l’inspectrice de circonscription.
Un bus va sillonner les quartiers
« Calais Territoire Bilingue » est devenu une réalité en maternelle, mais ce projet lancé en 2018 par la rectrice de l’académie de Lille, Valérie Cabuil, vise bien au-delà. L’objectif est qu’à terme 30 % des enseignements se fassent en anglais dans les écoles, mais aussi les collèges et les lycées de la ville. « L’idée est d’associer les centres de loisirs. Il était aussi question que les ATSEM soient inclus dans le projet », développe Béatrice Briard, l’inspectrice d’académie – inspectrice pédagogique régionale en anglais. « On va bientôt avoir un bus qui sillonne les quartiers en proposant des ateliers en anglais qui associent les parents », poursuit Stéphanie Lengagne.
L’ambition affichée est colossale, mais dans les faits, « le Covid nous a beaucoup retardés. Le projet est aujourd’hui bien en place en maternelle. On forme les enseignants de CP et CE1 cette année. Puis il y aura les CE2, CM1 et CM2 », indique Béatrice Briard.
Au collège, on s’empare doucement du projet. Christelle Admont n’a pas attendu que ce soit généralisé dans le secondaire pour s’essayer à dispenser une partie de ses cours de mathématiques en anglais. Ses élèves sont très réceptifs. « Ça apporte une dimension presque ludique et ça permet de désacraliser la matière », analyse-t-elle.
L’idée est d’associer les centres de loisirs.Il était aussi question que les ATSEM soient inclus dans le projet.
Surle même thème Secrétaire académique de la FSU et professeure agrégée d’allemand, Catherine Piecuch est très critique.
Elle estime qu’on ne s’improvise pas prof d’anglais et encore moins prof de maths ou d’histoire en anglais, avec quelques jours de formation. Sans compter qu’être au contact, un mauvais accent pourrait même être contre-productif pour les élèves.
Cinq jours de formation
« Les enseignants sont formés cinq jours avec le British Council, mais ensuite ils sont accompagnés par des personnes-ressources », conteste Stéphanie Lengagne. Qui ajoute que du matériel – type enceintes MP3, murs et tableaux sonores – est mis à disposition « pour que les élèves entendent de l’anglais authentique ».
Il y aurait peu de réticences chez les professeurs du premier degré à se lancer dans ce dispositif mais « le niveau d’appréhension est plus élevé chez les enseignants en collège », concède Brigitte Briard.
« C’est un projet qui demande du temps », considère Stéphanie Lengagne. « Il ne fallait surtout pas commencer en imposant les 30 % à tout le monde. » Même en maternelle, on n’y est pas. À l’école Constantine, « on est à peu près à 10 % aujourd’hui et l’objectif est d’atteindre 30 % d’ici à février-mars. Mais on prend des habitudes, on fait nos rituels du matin en anglais (date, humeur du jour…) », explique Lydie Barsby. Les parents adhèrent, « ils considèrent que c’est une chance pour leurs enfants. » Reste à « monter en puissance ».
L’Angleterre s’est refermée sur elle-même, mais en face, Calais et ses enfants s’ouvrent à elle.